Peux-tu te présenter et nous dire comment tu as décidé de partir sur la route à vélo pour un si long voyage ?
Isabel : Je m'appelle Isabel, j'ai 26 ans, j’ai grandi en Bretagne, au bord de la mer. Enfin… au bord de la Rance. J’ai décidé de partir pour faire une année de pause après mes études et prendre l’air pendant cette période marquée par la crise sanitaire. J'ai travaillé pendant six mois pour mettre de l’argent de côté pour le voyage et je suis partie de Bretagne à l’hiver 2021, vers l’Est. Je voulais partir de chez moi, de mon petit village breton de Plouër-sur-Rance, pour m'élancer vers Téhéran en Iran. Initialement je souhaitais partir à pied, mais ça allait être beaucoup trop long, alors j'ai décidé de partir à vélo. Je n’étais pas une voyageuse à vélo ou une experte de la bicyclette. Je me suis simplement dit : je me construis un vélo et puis on verra bien. Voilà comment je me suis décidée à partir et pourquoi j’ai baptisé mon voyage PLOUHERAN !
Pourquoi as-tu choisi l’Iran comme destination ? Quel itinéraire as-tu suivi ?
Isabel : L’Iran ? Parce que j'avais envie d'un endroit qui paraissait lointain et un peu inaccessible. La destination me faisait vraiment rêver. J’avais l’impression que je n’y arriverais jamais, que c'était loin et que j'aurais de la route pour toujours. Et puis, effectivement, c’était très dur d’aller jusqu’en Iran. C’était le confinement dans beaucoup de pays, on ne pouvait pas choisir sa route directement. Je suis passée par l'Espagne, l'Italie, la Slovénie, les Balkans, la Grèce, la Turquie, la Géorgie, l'Arménie, en prenant les routes les plus longues, tous les détours possibles et inimaginables, par les petites routes et les montagnes. J'ai choisi de rouler sur ce trajet aussi parce que c'est une partie de la mythique route de la soie, la route de grands personnages historiques d'Alexandre le Grand, Marco Polo ou d’Ella Maillart. Je suis partie avec de quoi bivouaquer et des points de chute chez l’habitant grâce au réseau Warm Showers.
Une femme seule qui voyage à vélo au long cours, tu as dû susciter la curiosité des gens en chemin, comment as-tu été accueillie ?
Isabel : En tant que femme seule qui voyageait à vélo, j’ai été très bien accueillie partout, sauf peut être un peu dans l'est de la Turquie, où ça a été compliqué. Enfin, à certains endroits, il y a toujours des regards déplacés, mais malheureusement, c'est absolument partout. Après en Turquie, c’est aussi le souvenir de la découverte d’un endroit génial, la « Bike Academy ». Un petit hôtel pour les cyclotouristes du monde entier avec un parc à vélo, un atelier de réparation, des cafés, des douches etc…
Lors de ce long périple, quelle rencontre ou expérience t’a marqué ?
Isabel : Après tant de mois sur la route et 15 000 km sur mon vélo bleu, j'ai rencontré énormément de gens. Impossible de donner une réponse générale. Mais la meilleure expérience c’est juste le fait d'être nomade et en déplacement. Ça permet de rencontrer énormément de monde et d'avoir des rencontres hyper riches. Il y a des rencontres ponctuelles, nombreuses, éphémères, mais je me suis fait également des amis incroyables sur la route. Des gens que je garde encore aujourd'hui dans ma vie et que je garderai toujours. Ça, c'est vraiment formidable, se faire de nouveaux amis en voyage.
Et si tu devais nous raconter un moment difficile ou une galère ?
Isabel : Un moment difficile ? C'est plutôt une constante lors d’un voyage à vélo. Dans une journée, il va y avoir une épreuve presque à chaque fois. Que ce soit une longue route où l’on est face au vent, sans protection, ou peut-être un col à un moment, un effort physique éprouvant, ou cinq jours de pluie, ou encore juste la chance, avec une frontière fermée ou une frontière qui ouvre. On peut appeler ça des galères ou juste des imprévus. Malgré tout, et même en période de crise sanitaire, j’ai trouvé ce long voyage à vélo dans l'ensemble facile. Je n’ai pas eu l’impression d’avoir atteint mes limites. Peut-être parce que j’ai pris mon temps. C'était un vrai plaisir d'être sur la route, j’ai kiffé tout au long du voyage en fait !
Avec un peu de recul, que t’as apporté ce grand voyage à vélo ?
Isabel : Je pense, avec un peu de recul, que ce voyage m'a apporté énormément de confiance en moi. J’ai gardé comme une sorte de « pouvoir magique ». Je sais maintenant que j’ai la capacité, où que je sois, de toujours trouver un endroit où dormir et manger. Ça aide à avoir moins peur de l’inconnu. Et puis, ce périple m'a permis de me poser de bonnes questions. C'est rare, au rythme auquel on avance dans la société aujourd'hui de prendre une année pour juste se poser et attendre de voir ce qui va se passer. Comment occupe-t-on l'espace et le temps si personne ne nous dit quoi faire? Où est-ce qu'on va se mettre pour passer la nuit ? Et ce qu'on va se choisir un coin perdu et dormir dans les montagnes? Et ce qu'on va plutôt en ville ? Et puis après tout, pourquoi partir si nos proches nous manquent et qu’on ne sait même pas où on va ? Qu’est ce qui nous pousse à avancer chaque jour vers la prochaine forêt, le prochain col, la prochaine mer ? C'était tout un tas de questions. Je me suis rendue compte également que j'aimais beaucoup être en mouvement. Et puis, surtout, j'ai enfin pris confiance en moi pour commencer à écrire, à dessiner et me lancer dans le projet de création de PLOUHERAN .
Tu as eu envie de raconter ton histoire sous la forme d’un roman graphique, peux-tu nous en dire plus sur ce projet ? Est-ce que tu dessinais en route à la manière d’un carnet de voyage ?
Isabel : A Téhéran, à la fin de mon voyage, je me suis rendue compte que je pouvais continuer longtemps à pédaler sur les routes, que j'étais très bien. Rien ne me manquait et j'étais très heureuse. Mais il y avait autre chose de plus fort, c'était le désir et la volonté de me mettre à créer quelque chose et voir si j'étais capable de le faire. L’envie de dessiner, juste de m’installer à un bureau et voir à quoi ressemblerait une bande dessinée sur mon voyage. L’idée de PLOUHERAN, c’est d’être un livre de voyage, un roman d’apprentissage, et surtout, après les nombreuses rencontres insolites sur mon chemin, de raconter une grande histoire d’amitiés. Avec mes dessins et quelques aquarelles, je voulais simplement partager les bivouacs dans les forêts du Massif central, les nuits dans les caravansérails abandonnés, les toits de Venise ou les hauts cols du Caucase, je voulais montrer les coulisses de cette année nomade sur la route de la soie. Tout a été dessiné après le voyage, depuis la Bretagne, je n’avais pas le temps sur la route même si j’y pensais déjà. Le livre vient de sortir début juin grâce au soutien de nombreuses personnes ! On peut le commander sur mon site.
La prochaine aventure, l’as-tu déjà en tête ?
Isabel : La prochaine aventure ? J’aimerais bien repartir pour documenter la vie d'une jeune femme seule sur les routes à vélo. Ce sera certainement sous la forme d’une bande dessinée documentaire. Et ce sera peut-être vers l'est, mais je ne sais pas encore exactement. Pour l’instant, ce n’est plus vraiment la destination qui compte mais plutôt le chemin. C'est juste de continuer, d'avancer dans une direction et de voir jusqu'où le vent me mène.
Instagram d’Isabel : https://www.instagram.com/plouheran
PLOUHERAN, un roman graphique : https://boutique.plouheran.com/