Les voyages de Mat : partir redécouvrir la France, « le plus beau pays du monde »

Sophie
6/2/2023
Lecture 11 min.

Globe-trotteur depuis plus de 20 ans, Mathieu partage son regard et ses manières de voyager alternatives, basées sur la lenteur et les rencontres. Après un tour du monde à vélo sur le thème de la musique, c’est à pied et à vélo qu’il est parti sur les chemins de France, des Ardennes au Pays Basque, le long de la diagonale du vide. En l’écoutant, les plus belles aventures ne sont pas nécessairement les plus lointaines. Tout est une question de rythme. Rencontre.

Mathieu, peux-tu te présenter en quelques mots ? D’où viens-tu ?

Mathieu : Photographe, auteur, blogueur voyage, je suis né à Avignon, j'ai grandi en banlieue parisienne avant de retourner dans le sud puis à Nancy pour finir mes études. Aujourd’hui j'habite dans un petit village perdu de Haute Marne, dans la maison de mon arrière grand-père. Je voulais m’installer à la campagne, je suis servi ! Pour expliquer aux gens où j'habite, je suis obligé de me situer par rapport à Nancy qui est à plus d'une heure de voiture ou à Dijon qui est à une heure et demie. Je suis en quelque sorte dans le trou du cul du trou du cul de la France (rires). 

Tu es parti pour un grand voyage à vélo autour du monde il y a un peu plus de 20 ans ?

Mathieu : Oui, je finissais mon service civil à Berlin dans une grosse entreprise où je ne me sentais pas forcément à ma place. Ce premier grand voyage d’un an et demi m'a permis de me mettre sur le bon chemin. A Berlin justement, j'ai rencontré Frank, un mec assez sportif qui s'était lancé dans la préparation d'un voyage au long cours. Moi j’étais super motivé pour partir et cherchais un co-voyageur. On a essayé de mêler nos deux passions, la culture et le sport, en imaginant un périple à vélo pour aller enregistrer les musiques du monde. L'ADN en commun avec Frank, c'était la musique. Côté vélo, je dois avouer que la grande différence entre nous deux, c'est que j'étais un sportif du dimanche, alors que lui faisait du triathlon…

Quel itinéraire as-tu suivi ?

Mathieu : Je suis d’abord parti six mois en Asie. Le démarrage a été un peu difficile. Les premières semaines au Népal étaient particulièrement douloureuses. Je ne pouvais pas prendre la pente de face, j'étais obligé de faire des zigzag sinon je finissais par pousser le vélo, pendant que mon acolyte avançait tête baissée. Après, heureusement, on prend le rythme, on arrête de pédaler n'importe comment. On apprend à gérer l'effort, à rouler plus sagement et un peu moins comme des forcenés. Un autre copain m’a rejoint pour la suite du voyage, en Amérique latine pendant six mois, du Mexique au Chili, puis six autres mois en Afrique de l'Ouest, du Maroc à la Côte d'Ivoire. De là, j'ai pris un bateau pour rentrer en France (je rêvais de mettre mon vélo sur un cargo). Au final, 3 continents, 23 pays, 25 000 kilomètres et une centaine d’heures d’enregistrements de musique. Un an et demi, c’était déjà du slow travel. Enfin, quand je compare avec mon voyage en France qui a suivi, je réalise que je suis allé vite à vélo (rires). Je suis parti un an et demi sur un itinéraire d’environ 1 500 km à travers l’hexagone. J'étais sur une autre échelle de la lenteur. Surtout que je suis parti à pied.

Comment est né ce projet de traverser la France à pied ?  

Mathieu : Des années après mon tour du monde à vélo, ma vie à Paris ne me convenait plus du tout. J'ai repensé au voyage idéal, et je me demandais souvent comment se passerait un grand voyage, comme celui que j'avais fait autour du monde, mais chez moi. J’avais envie de redécouvrir la France avec ce même regard, celui du voyageur émerveillé. Partir à pied (et un peu à vélo) était une démarche pragmatique : faire des économies et réduire mon impact environnemental. Mais je crois que partir à pied, en train ou à vélo est surtout un moyen de découvrir ou redécouvrir ce qu’on a sous les yeux. Je voulais mieux regarder pour trouver “l’exotisme” que je cherchais tant ailleurs.

Pourquoi avoir choisi la  “Diagonale du vide” comme itinéraire de ta traversée de la France ? 

Mathieu : La France est un pays très touristique, je ne voulais pas faire un voyage entre le Mont-Saint-Michel et la Méditerranée par les châteaux de la Loire. Je cherchais autre chose, des endroits paumés. Je cherchais aussi un peu d'aventure. Je suis tombé sur cette fameuse carte de la DATAR (ancienne agence de l'aménagement du territoire) qui présentait cette diagonale du vide comme une ligne imaginaire traversant les endroits les moins densément peuplés de France. Je me rappelle aussi que j'adorais écouter les Carnets de campagne de Philippe Bertrand à la radio, qui présentaient des initiatives d’habitants attachés à leur territoire, pleins de vitalité et d’énergie positive. Je me suis lancé avec l’idée de réaliser des portraits de ceux qui vivent le long de cette diagonale du vide. 

Qu’est-ce que tu as découvert lors de ce voyage en France que tu n’as pas trouvé ailleurs dans tes pérégrinations autour du monde ?

Mathieu : C'est impossible de comparer avec mon tour du monde à vélo. En France, j'ai vraiment pris le temps. Le slow travel dans toute sa dimension, en immersion totale. Je ne voulais pas visiter des sites incontournables mais vivre des expériences et réaliser des portraits. Je suis autodidacte, donc tout prend du temps. En fait, le slow c'est mon mode de fonctionnement (rires). En règle générale, la vitesse me met la pression. Je préfère savourer le temps qui passe en faisant des rencontres et en laissant place à l’imprévu plutôt que de devoir rentabiliser un voyage.

Ton coup de cœur pendant ta traversée en France ?

Mathieu : Entre le Cantal et le Puy de Dôme, il y a le Cézallier, un magnifique petit pays confidentiel que j'ai découvert par hasard. C’est un endroit incroyable surnommé parfois la petite Mongolie en raison de sa géographie. Un plateau splendide perché à 1 000 m d'altitude. Quand les nuages sont un peu bas, on a l'impression de toucher le ciel. Un sentiment de liberté se dégage de ses paysages. 

Pourquoi es-tu un grand adepte du slow travel ?

Mathieu : D’abord parce qu’on rencontre des gens sympas partout ! Tout prend une autre tournure en prenant le temps. Si on est un peu disponible, ça se fait tout seul. Ralentir et partir sur les chemins, c’est entrer dans les replis d’un territoire. On découvre vite des choses qu'on ne voit pas depuis l'autoroute. C'est seulement en allant vite qu'on croit que cette diagonale est vide. Mais quand on voyage lentement, on commence à voir les richesses d'un territoire. On va voir des animaux sur la route, on va prendre le temps de la rencontre, avec des gens qui vont vous proposer un café, partager leur histoire. Pendant ma traversée j’ai rencontré un mec qui m'a expliqué qu'un jour, il était rentré de Paris jusqu'à chez lui dans le Tarn à la boussole. J'ai trouvé ça génial ! On se pose plus la question d'arriver le plus vite possible, juste on suit la route telle qu'elle se présente et telle qu'on a envie de l'aborder aussi. On se pose moins la question, “est-ce que je vais dans la bonne direction ?” Mais plutôt “où est-ce que j'ai envie d'aller ?” Et “comment j'ai envie d'aborder mon voyage ?” En fait, à partir de là, on vit un voyage surprenant.

Tu aurais envie de repartir à vélo ?

Mathieu : Bien sûr, j'ai toujours envie de partir ! Le vélo, c’est un bon compromis entre la vitesse et la lenteur. La vitesse dans le sens où si on veut abattre des kilomètres et faire 100 km dans la journée c'est faisable, on peut vraiment avancer. En même temps, si on veut profiter du paysage et de l'endroit où l'on se trouve, alors on ralentit. J’aime aussi être directement en prise avec ce qui m’entoure. On entend les oiseaux et la nature, c'est assez précieux. Aujourd'hui, grâce aux vélos électriques, on peut s'aventurer sur tous les terrains sans trop de difficulté. Lors de mon tour du monde, on avait beau être dans des coins sublimes, en Iran ou dans l'Himalaya, on ne profitait pas toujours de la magie des paysages autour de nous parce qu'on avait qu'une envie, c'était que ça s'arrête, c'était d'arriver. On ne le dit pas souvent mais les voyages à vélo sont aussi teintés de pas mal de souffrances. Enfin, quand on n'est pas un grand sportif ou quand on ne fait pas ça pour l'exploit. J'aime le vélo électrique pour cela, pour éviter ce côté de l'effort pour l'effort. Je préfère profiter de ce que j’ai sous les yeux. 

On a pu suivre ton périple sur ton blog et dans ton premier livre, La diagonale du vide, un voyage exotique en France, peux-tu nous en dire plus ?

Mathieu : Ce livre que j’ai tiré de ma traversée de la France s’est nourri de tous les portraits réalisés sur la route. C’était un beau projet qui m’a permis de prolonger le voyage et de le partager. Un autre projet de livre me tient à cœur sur mon tour du monde à vélo, avec mon regard vingt ans après. En ayant vu les évolutions du monde du voyage, je trouve intéressant de me replonger sur ce qui dure, ce qui change, ce qui a disparu. J'ai envie de proposer un bel objet, au-delà du contenu.

A suivre sur le blog de Mat.

Sophie
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