Peux-tu te présenter et me parler de ton parcours en quelques mots ?
Julien : J’ai grandi au cœur de l’Auvergne, dans les contreforts du plateau du Cézallier, et je voyage à vélo depuis plus de… vingt ans ! En 2010, j’ai rencontré ma compagne, Marion, avec qui j’ai poursuivi un projet de tour du monde à vélo. On venait de se rencontrer, Marion souhaitait déjà partir à vélo en solo, et c’est à deux qu’on a roulé jusqu’en Nouvelle-Zélande. Un voyage de 28 000 km qui a fait l’objet d’un premier film et d’un livre. Aujourd’hui, nous habitons en Auvergne, on continue évidemment à réaliser des voyages, toujours à vélo, désormais avec nos deux jeunes enfants, Louna, 9 ans, et Siméon, 6 ans.
Vous êtes partis tous ensemble en voyage à vélo début août ?
Julien : Oui, on est parti sur les routes de France, de Belgique et d’Allemagne. En fait, depuis longtemps on savait qu’on vivrait ce genre d’aventure. Au retour de notre grand périple jusqu’en Nouvelle-Zélande, on a acheté un tandem particulier, avec déjà l’objectif de voyager en famille avec nos enfants, que l’on n’avait pas encore ! Ce tandem possède un pédalier pour les enfants à partir de 3 ans. C’est débrayable, quand je pédale à l’arrière, l’enfant assis devant ne pédale pas. Il ne tient pas de guidon et peut se reposer ou faire la sieste sans aucun problème, tout en éprouvant de meilleures sensations que dans une carriole. Une fois réveillé, on lui demande de pédaler, généralement dans les montées pour nous aider (rires). C’est une solution idéale pour les enfants jusqu’à qu’ils soient en âge d’avoir leur propre vélo, autour de 5-6 ans. Donc grâce à notre tandem, on est parti chaque année, parfois trois jours, deux semaines, un mois. Cet été, c’est la première fois que l’on partait si longtemps.
Peux-tu nous en dire plus sur ce dernier voyage à vélo en famille ?
Julien : On est parti début août pour deux mois. Nous faisons l’école à la maison, donc on est flexible sur les dates. Le voyage s’inscrit dans un apprentissage. L’idée initiale était d’aller à l’étranger pour montrer aux enfants l’importance des langues étrangères. Initier Louna à l’anglais notamment. Pour le français, elle avait son carnet de bord à tenir. Les maths, on en faisait naturellement en parlant de kilomètres, de durée, quand on était sur le vélo. L’histoire et la géographie, c’était tous les jours. Le voyage à vélo, c’est l’école de la vie ! Les enfants étaient chacun sur leur vélo. Mais je suis quand même parti avec le tandem, car Siméon n’avait pas encore tout à fait six ans. Au début du voyage, c’est arrivé que j’accroche son vélo derrière moi et qu’il monte devant. Rapidement, il s’est mis à faire ses 50 km sans problème dans la journée ! C’est une question d’entraînement.
Quel itinéraire avez-vous suivi à vélo en Europe ?
Julien : L’idée était d’échapper aux grosses chaleurs et de rester sur un itinéraire facile et plat pour les enfants. Depuis chez nous, nous avons pris un train pour Moulins, puis on a pédalé jusqu’à Montargis, ensuite, nous avons repris un train pour Paris. De là, on a pédalé jusqu’à Bruxelles, puis Liège, Cologne. On est revenu le long du Rhin, on a pris un bout de train pour revenir sur Strasbourg, puis encore un train jusqu’à Nancy pour ensuite atteindre Metz. On a terminé en pédalant jusqu’à Lyon, Clermont-Ferrand et la maison ! Nous avons partagé régulièrement nos aventures sur les réseaux sociaux, sous le nom d’Ekipédale pour Ekipé Medical Recherche. Une association qui agit dans le domaine de la masso-kinésithérapie et que nous voulions soutenir en lui donnant un peu de visibilité.
Par rapport à votre manière de voyager à vélo avec Marion, qu’est-ce qui changé dans le voyage à vélo en famille ?
Julien : Ah ! C’est radicalement différent ! On n’est plus du tout sur notre rythme à nous mais sur le rythme des enfants. On pédale beaucoup moins que ce qu’on faisait avant. Et heureusement pour eux ! En Amérique du Sud, je faisais des étapes de 200 km par jour… Une grosse différence c’est aussi qu'avec Marion, on aime vraiment emprunter les pistes et grimper en montagne. Avec les enfants, on cherche plus de plat. Sur ce voyage, nous avons fait beaucoup de canaux, les pistes cyclables sont une sécurité, surtout quand les enfants sont un peu tête en l’air. Voyager à vélo en famille, c’est aussi beaucoup d’énergie pour faire avancer le groupe. C’est un travail de tous les jours. Et ce n’est pas toujours facile : tracas du quotidien, météo capricieuse, bobos, gastro, bronchite, école. Mais c’est si riche, un vrai privilège de profiter autant des enfants et de partager la vie sur la route avec eux. Après trois semaines, on avait pris un bon rythme, et les enfants étaient vraiment dedans. Il y avait des moments de grâce, où tout le monde était sur la même longueur d’onde au même moment. Alors là, on n’hésitait pas et on avançait.
Quelles sont les étapes coup de cœur sur ce périple ?
Julien : Louna m’a dit que la meilleure journée passée pendant le voyage c’était en Allemagne. Lors de la première nuit, on ne savait pas encore que le camping sauvage était interdit. Des habitants ont contacté le maire pour finalement nous autoriser à planter la tente sur une aire de jeux. Tous les enfants sont arrivés après l’école pour jouer, et Louna et Siméon ont fait des rencontres et se sont mis à parler anglais. Un moment marquant ? Je dirais quand on a grimpé le col du Donon (728m), dans les Vosges, c’était une belle petite ascension de 450 m de dénivelé je crois. C’est un des meilleurs souvenirs, car les enfants ont franchi le col ! C’est très valorisant. Dans un monde aujourd’hui où tout va très vite, et où l’on est habitué à tout avoir tout suite, en trois clics, je trouve que le voyage à vélo redonne du sens. Ralentir, prendre son temps, et montrer que pour atteindre un objectif, il faut se dépasser, pédaler. Et toujours trouver le bon équilibre entre effort et plaisir. Si vous voulez voir le beau panorama en haut, il faut grimper, les choses n’arrivent pas sur un plateau. Et je crois qu’ils l’ont compris. J’espère (rires).
Vous avez une sacrée expérience du voyage à vélo toi et Marion, que dirais-tu aux familles plus novices qui aimeraient se lancer ?
Julien : On est dans un pays où les pistes cyclables sont nombreuses. En famille, c’est idéal, il ne faut pas s’en priver. C’est une évidence ! Même si je préfère les cols de montagne, je suis très content que les voies vertes et pistes cyclables existent. On peut ainsi partir sans crainte, surtout si c’est une première. En France, on peut traverser le pays sans être quasiment en contact avec des voitures, c’est extraordinaire. En Belgique, c’est encore mieux organisé grâce à un système de « points nœuds ». On utilise une application où l’on a toute la liste des points pour tracer sa route et se laisser guider sur des itinéraires très diversifiés. Pour ne pas dégoûter les enfants, je dirais qu’il faut bien choisir son itinéraire, et partir avec le bon matériel. Pour que les enfants prennent du plaisir, il leur faut un vélo de qualité, pas trop lourd ! On ne s’est pas mis la pression, on n’était pas dans la performance. En deux mois, on a fait environ 2 000 km à vélo et 800 km en train. Prendre le temps est primordial, trouver une harmonie. Faire des étapes en train par exemple, il ne faut pas s’en priver !
Toi qui a voyagé autour du monde, as-tu trouvé du plaisir à voyager à vélo en France ?
Julien : La France est connue pour sa formidable diversité. On a beaucoup roulé en pays Cathare, dans le massif central aussi, mais il y a beaucoup d’autres régions à découvrir : les Landes, la Normandie, l’Alsace, la Drôme… Sur l’itinéraire cet été, on a découvert plein de choses. Par contre, je dois avouer que j’ai peu apprécié la vallée du Rhin, trop industrielle. Ce n’était pas très excitant mais on en a profité pour faire un cours de géographie aux enfants. Dans les Vosges, on a fait des cours d’histoire, avec les bunkers situés au col du Donon. L’itinéraire choisi cet été devait d’abord être facile. C’était avant tout une introduction, pour donner le goût de l’aventure, du vélo et du bivouac aux enfants. Maintenant que Siméon grandit, on aimerait bien les emmener vivre d’autres aventures vers des régions plus « exotiques », vers l’Est.
Tu penses à quoi ?
Julien : Avec Marion, on a une problématique qui nous tient à cœur depuis le retour de notre grand voyage, on se refuse à prendre l’avion depuis dix ans, par rapport à notre bilan carbone. Mais vu l’état de la planète, on a envie de prolonger notre engagement. Donc, continuer à voyager à vélo sans prendre l’avion, et pourquoi pas retourner en Turquie. On a vraiment adoré ce pays ! On se dit que les enfants pourraient découvrir un autre pays, sur un autre continent, avec une culture et une religion différentes. On pourrait imaginer d’y aller en train et de pédaler une fois sur place. Mais cela implique un relief beaucoup plus exigeant. Enfin, tout cela a le temps de changer, mais c’est le genre de voyage qu’on aimerait partager avec nos enfants…
Julien Leblay, auteur du livre Le Tao du vélo, petites méditations cyclopédiques, éd.Transboréal, coll.Petite philosophie du voyage.