David Le Breton, sociologue, professeur à l'université de Strasbourg, explore la marche depuis des années (Marcher la vie, un art tranquille du bonheur; Marcher. Éloge des chemins et de la lenteur), mais il s’intéresse aussi au vélo, avec En Roue Libre, un livre sur les plaisirs simples de l'existence à vélo.
Avide de lectures vélocipédiques, et ayant par ailleurs beaucoup aimé son livre Marcher, Éloge des chemins de la lenteur, j’ai lu son livre avec beaucoup d’intérêt, et je vous en partage ici les raisons.
A bicyclette
Avec En Roue Libre, David Le Breton poursuit sa réflexion sur notre monde contemporain, sa cadence et les battements de la vie, offrant une sorte d'hommage paradoxal à la lenteur. Car si certains cyclistes avancent à grande vitesse, cette anthropologie sentimentale nous convie plutôt à flâner à bicyclette, en compagnie de Montand, Sautet, Tati, Simone de Beauvoir ou encore de Brassens. Une lenteur qu’on apprécie beaucoup chez Chemins, nous qui prônons le slow travel.
L’ouvrage retrace l’histoire de la bicyclette, de la draisienne inventée par Baron Karl Drais au vélo gravel en passant par les premiers vélocipèdes de Pierre Michaux. Mais ce livre est surtout une déclaration d’amour pour le vélo.
Éloge de la lenteur
Tout comme la marche, le vélo défie les valeurs ultra libérales de nos sociétés contemporaines. Il incarne la connexion au monde, la lenteur, la nonchalance, le sentiment d'être pleinement vivant. Il plonge continuellement le cycliste dans la sensorialité du monde, entre les odeurs, les paysages et les sons ambiants. Il offre également une manière paisible de redécouvrir le temps et l'espace, en emmenant le cycliste à sa destination à son propre rythme, sans les tracas des retards ou de la recherche de stationnement.
Pour David Le Breton, le vélo incarne l'art d'un déplacement joyeux, une antidote à la sédentarité croissante qui nous menace, nous invitant à renouer avec notre nature nomade. Les balades recommandées par l'auteur sont celles qui, paisibles, favorisent les rencontres amicales, loin des tensions générées par l'automobile, décrite comme un "caisson d'isolation sensorielle" qui engendre souvent l'agressivité routière, avec l'illusion que les autres sont toujours les chauffards.
Un objet émancipateur
Le vélo accompagne notre quête d'autonomie et de liberté, s'intégrant dans la vie des enfants, des adolescents et des adultes, et apportant un bonheur simple. À travers des passages poignants, l'auteur explore toute l'histoire du vélo, depuis ses débuts rudimentaires jusqu'aux vélos tout-terrain modernes, soulignant, à l'instar de Zola, son rôle émancipateur chez les jeunes, les ouvriers et les femmes.
Outil de construction de nouveaux imaginaires
Puisant dans une multitude de récits biographiques d'écrivains, d'artistes, de voyageurs et de sportifs, David Le Breton défend l'idée que l'usage pacifique du vélo peut nous conduire d'un monde marqué par l'urbanisation effrénée et les incivilités à un monde plus écologique, basé sur des coexistences paisibles. On peut noter toutefois que l’usage du vélo n’est pas toujours pacifique, loin s’en faut !
Dans le sillage du Manifeste vélorutionnaire des Amis de la Terre en 1977, inspiré par les mouvements de Mai 68, David Le Breton nous incite à envisager le vélo comme un moyen de repenser nos villes, nos campagnes et notre monde.
Ce livre est un beau voyage, et donnera envie de faire du vélo ou confortera ceux qui en font déjà, et j’ai été enthousiasmé par le message selon lequel le vélo est vecteur de changements sociétaux.
Quid du vélo électrique
Un point m’a toutefois laissé pantois, lorsque j’ai lu que ‘’ le vélo à assistance électrique n'est plus vraiment un vélo dans le registre de la bicyclette; il avance souvent sans le moindre effort du cycliste à une vitesse qui le rend dangereux sur les pistes cyclables ou dans les rues des villes ou il est autorisé.’’ Et de poursuivre, ‘’À mes yeux, l’appellation ‘’vélo à assistance électrique’’ est abusive : ce sont des machines motorisées, comme autrefois le solex ou la mobylette; elles ne participent en rien de la catégorie du vélo’’. Sidérante démonstration d'ignorance teintée de mauvaise foi ! Sans compter le fait qu’il est contre productif de diviser les cyclistes, sachant que de nombreux usagers reviennent au vélo justement grâce au fait qu’il soit électrique, et donc plus inclusif.
Un livre salutaire
Malgré ce passage lunaire, je vous invite à lire ce livre passionnant qui fait du vélo bien plus qu’un outil de déplacement, du fait que son usage contribue à nous faire nous sentir pleinement vivant, favorisant ainsi la quête de sens de nos existences. ‘’On croit fabriquer des automobiles, on fabrique une société’’ écrit Bernard Charbonneau. Comme la voiture, le vélo interroge notre rapport au monde. Et en pédalant, j’aime à penser que nous écrivons de nouveaux récits.
En roue libre, Une anthropologie sentimentale du vélo de David Le Breton (Ed. Terre Urbaine)
Retrouvez nos articles sur Itinérances, le blog de Chemins, voyages en quête de sens.